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Mémoire et image. Regards sur la catastrophe arménienne

01.01.2013 Marie-Aude Baronian Publication imprimer l'article

 Mémoire et image. Regards sur la catastrophe arménienne, Marie-Aude Baronian, L’Age d’Homme, 2013

« Qui se souvient encore de l’extermination des Arméniens?» Cette phrase d’Adolf Hitler (1944) résume à elle seule toute la problématique historique et mémorielle du génocide arménien: une mémoire qui cherche désespérément à s’ancrer et qui se heurte toujours à un oubli forcé. Si les images (photographiques, filmiques, télévisuelles et numériques) sont censées faciliter le processus de la mémoire, comment comprendre celles qui n’ont pas circulé de manière à construire et soutenir la Mémoire? Qu’en est-il au juste de la traduction et des représentations visuelles de la Catastrophe?

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Le génocide arménien de 1915, le premier du XXe siècle, « se distingue à la fois par sa fonction inauguratrice et par sa non-reconnaissance qui n’en est pas moins son accomplissement et sa “réussite” » note Marie-Aude Baronian, dès les premières pages de son essai. L’oubli dont il souffre et l’impunité dont il a bénéficié fit de lui un « mode d’emploi à l’usage du parti nazi ». Mais penser la mémoire du génocide aujourd’hui amène à distinguer cette Catastrophe de celle qui lui succèdera. Il est vrai, en ce qui concerne la Shoah, que les images ont participé à la prise de conscience visuelle de l’horreur et à la transmission mémorielle alors que le génocide arménien se confronte, lui, à une perte de mémoire, due justement à l’absence de la circulation d’images. C’est sur cet aspect particulier que le présent ouvrage se penche. Comment se transmet la Mémoire d’un génocide sans images ? Que dire « de la traduction et des représentations visuelles de la Catastrophe » proposées par des artistes arméniens contemporains tels que Atom Egoyan, Gariné Torossian ou Mekhitar Garabedian ?

La réflexion sur l’image s’impose car se souvenir, nous dit Georges Didi-Huberman, c’est imaginer. Or, comment soutenir la Mémoire quand l’image fait défaut, tout au moins quand les images n’ont pas été répandues dans l’espace collectif et public ? D’autre part, la Catastrophe est un événement par définition sans image puisque voué, par les bourreaux, à devenir un non-événement, un événement dont il n’y aurait trace.

L’étude de Marie-Aude Baronian est par ailleurs traversée d’un engagement personnel. En effet, le visionnage d’un film dans lequel son grand-père relate son expérience du génocide n’a jamais cessé de l’interpeller et de l’interroger. Et considérant que ce témoignage constitue « un défi lancé au génocide et donc à l’extermination du témoin », on comprend la portée que revêt alors son travail.

La question des archives est incontournable lorsque l’on se penche sur la question du génocide, puisque les génocidaires cherchent soit à les détruire, soit à les nier. Les photographies sont le signe de la réalité des faits mais parce que souvent difficiles à contextualiser, à dater précisément, elles deviennent la marque d’une mémoire décousue et donc vulnérable. C’est la raison pour laquelle des artistes héritiers du génocide « investissent leur travail du questionnement de l’image, sans pour autant [le] représenter de manière figurative ».

L’ouvrage interroge aussi la problématique de la représentation de la Catastrophe quand justement on considère qu’il y a là de l’indicible et de l’irreprésentable. Les exemples sont nombreux quand il s’agit d’évoquer les polémiques, les controverses et discussions autour de la représentation de la Shoah. Mais il y a une singularité relative au génocide arménien : l’impossible d’une telle représentation se double de l’impossibilité « de transmettre “ce qui n’existe pas” », de transmettre une « mémoire à recréer ».

C’est le travail d’artistes d’origine arménienne qui est enfin analysé. L’héritage du peintre Arshile Gorky dont se réclament notamment Atom Egoyan, Garabedian et Torossian, et la manière dont ces derniers se répondent et s’influencent, fait l’objet d’une approche des plus intéressantes. Une attention particulière est accordée au travail plastique et conceptuel de Mekhitar Garabedian et au questionnement de « sa propre mémoire, [de] la mémoire (tragique) de son peuple, et encore [de] la mémoire des arts ».

L’étude de Marie-Aude Baronian rend ainsi accessible une problématique complexe. Elle amène à penser de façon passionnante comment s’articulent l’Histoire du génocide arménien, la question de la transmission, du geste testimonial et de l’Art qui tentent de construire « une mémoire encore à venir »