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La Mort dissoute. Disparition et spectralité

01.01.2002 Alain Brossat,Jean-Louis Déotte Publication imprimer l'article

La Mort dissoute. Disparition et spectralité, sous la direction d’Alain Brossat et de Jean-Louis Déotte. Paris, L’Harmattan, coll. Esthétique, 2002

Le comble de la disparition, c’est sa propre disparition. Le propre des Etats autoritaires, c’est bien de dire qu’il n’y a pas de disparus, mais des absents qui reviendront. Il y a une infamie de la disparition sur laquelle on n’a pas assez réfléchi. Un doute infiniment prolongé, car la disparition est un événement qui dure toujours. Et donc un événement dont on ne peut même pas dire qu’il a eu lieu parce qu’on ne peut pas le localiser. Evénement ambigu, car l’honnête homme ne disparaît pas, il assume ses responsabilités, quelquefois jusqu’au sacrifice. Il y a une souillure intrinsèque liée au fait de disparaître. Parce que disparaître, c’est passer hors la loi absolument. Quel que soit l’état des lois. Comme si, avant tout, la loi exigeait de chacun qu’il apparaisse aux autres, sans réserve, exigeant :  » tu dois apparaître ! « . La loi ne dit pas nécessairement ce qu’il faut faire éthiquement, mais déjà qu’il faut s’exposer. L’exposition de soi est bien la condition de l’action éthique. On peut dire alors que le vaincu absolu, c’est le hors la loi : le disparu. Celui-là dont le cadavre ne peut être exposé, pas plus que l’histoire de sa fin, a bien mérité son sort : ne pas en avoir. Ce vaincu sera forclos du sens : hors le sens, fors le sens. Et donc, inénarrable. Mais ce ne sera pas une victime, parce qu’au fond on lui accorde toujours une part de responsabilité, quasi satanique. La rumeur le dit : on ne disparaît pas comme ça, on laisse toujours des traces, il doit y avoir des complicités. C’est d’un côté le sort pire que la mort pour les proches, survivants, c’est de l’autre, le plus enviable : n’est-ce point ce fantasme qui est au cœur de la rêverie du nomadisme ? Le disparu est soit totalement absorbé par la loi, c’est la radicale mise au secret (le statut Nuit et Brouillard inventé par Hitler pour des résistants particulièrement dangereux), soit totalement anarchique. Il rompt – de gré ou de force – l’essence du pacte existentiel sans lequel il n’y a pas d’action politique : l’essentielle entre exposition des singularités dans la communauté (J-L Nancy), l’inévitable exposition de soi des sans part qui font la démonstration du tort subi sur une scène publique qu’ils contribuent à réinventer (Rancière). Le disparu disqualifie et gangrène toute communauté : il est aussi le hors la loi de la philosophie politique.

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